Que suis-je ? (2/3)

closeUne année au moins est passée depuis la publication de ce billet qui peut donc contenir des informations un peu datées.

Comme je le disais hier, je ne suis donc pas un scientifique. 99,99 % de mes collègues non plus, et ce n’est pas grave. Que suis-je, alors ?

  • Un manager : je pilote des humains et des équipes (bon, dans mon cas, c’est très facile : petite équipe, bonne équipe), je motive, je régule, je dynamise (et ce n’est pas rien…), j’organise, je suis devant mes troupes et je les porte ;
  • Un gestionnaire : je gère des budgets, des fonds, des flux (documentaires et humains – mes usagers) ;
  • Un praticien : je mets en place des services, avec mes équipes et avec ce qu’il me reste d’argent et/ou d’énergie. La “bibliothéconomie” est un sport de terrain, d’abord. Elle n’existe que dans le monde réel et pour moi, le monde des réseaux, faussement nommé “monde virtuel”, est on ne peut plus réel : coupez tous les accès au Net dans votre bibliothèque en pleine journée, vous verrez si ce n’est pas du réel…

Voilà, je pense que mes missions, c’est ça. Ni plus, ni moins. Et je trouve que ce sont de belles et nobles et excitantes missions. Mais si j’en crois un sentiment diffus (cf. les débats feutrés que j’évoquais dans le premier billet de cette série ou ce que j’entends ici ou là), cette position n’est pas partagée par tous mes collègues, dont d’aucuns préféreraient nettement, donc, être considérés comme des Scientifiques (avec la majuscule), pour des raisons qui me restent mystérieuses (non, un prof ne me considérera pas mieux si j’ai un doctorat. Par contre, si je lui apporte ce dont il a besoin, je gagnerais tout son respect et toute son amitié : ma légitimité repose sur les services que j’assure – ou pas).

Demain, nous verrons pourquoi nous ne voulons pas / ne pouvons pas être ce que nous devons/pouvons être.

23 thoughts on “Que suis-je ? (2/3)

  1. Avoir un doctorat peut être utile quand on fait de la formation à l’université.

    Je ne dis pas que c’est un pré-requis (et pour cause: que les responsables de la formation des usagers docteurs lèvent le doigt) mais disons que cela ne sera pas un handicap dans un contexte (plan réussite en licence) où la formation joue un rôle croissant.

    Il me semble en fait que le bibliothécaire scientifique peut aussi avoir un rôle à jouer en BU. Pourquoi se priver des compétences, si elles sont là ?

  2. @MzSz : Concernant la formation, très franchement, mais alors très, je ne pense pas que le fait d’avoir un doctorat puisse avoir en pratique de formation la moindre utilité, mais ça n’engage que moi.

    Et sur le doctorat en général, oui, c’est bien mais ce n’est pas un pré-requis et en aucun cas, ce n’est essentiel ou un but en soi. Plus largement, je pense que notre métier ne doit pas être considéré comme un métier “scientifique” et que ce grand truc des conservateurs qui doivent avoir un doctorat pour attester de leur scienticité est une… connerie. Parce que ça brouille les missions, les attendus, et que ça fait oublier le caractère opérationnel de nos tâches qui sont des tâches de terrain, point barre.

  3. Hum, Daniel, nous sommes d’accord sur le diagnostique, pas sur le fond, je pense. Tu assumes, je déplore ; nuance.

    Comme je te le disais hier, les tâches dont tu fais la liste ci-dessus, n’importe qui est capable de les effectuer. Tu prends un mauvais cadre du privé sorti d’un IEP ou d’une mauvaise école de commerce et c’est parti.
    Il est bien beau d’expliquer qu’il ne sert à rien de connaître la discipline pour s’occuper d’une bibliothèque qui en traite. Mais

    1/ c’est faux. Qui a fréquenté une BU de province et est un peu versé dans une discipline se rend compte que – quand bien même il n’y aurait pas de manques criants, ce qui est rarement le cas – on se demande pourquoi tel livre a été acheté et pas tel autre. On a l’impression qu’au sein d’un même type de livre (français, de niveau recherche), les acquisitions on été faites à pique-nique-douille, en tout cas sans tenir compte de l’historiographie et de la recherche actuelle. Un bibliothécaire ne s’en rend pas compte puisqu’il n’est pas spécialiste ; un chercheur si.

    2/ le problème est qu’il n’y a pas que les bibliothécaires qui le croient. Si on peut diriger une bibliothèque en se contentant d’analyser les statistiques, je vois mal pourquoi on s’embêterait à embaucher des conservateurs. On va à la sortie de l’ESC Dijon et on embauche…

    Comme le dit le bon sens populaire (en tout cas toutes les personnes qui ne connaissent pas le métier et à qui j’explique ce que je fais (en tentant de souligner les enjeux et de le mettre en valeur, hein, pour de vrai)), “mais pourquoi tu as fais des grandes études comme ça pour faire ensuite ce métier ?”

    Que ce travail doive être fait, nous sommes d’accord. Qu’il n’y ait rien d’infâmant là-dedans et que cela puisse même être intéressant, itou.

    J’ai toutefois la faiblesse de penser que non seulement ce n’est pas incompatible avec le travail scientifique mais le travail scientifique vient donner du relief à ce travail administratif. Là, on est dans une situation qui serait celle où des profs de facs chargés de faire les maquettes du master de leur université se seraient tellement spécialisé là-dedans qu’ils ne feraient plus que ça et ne comprendraient plus que ces maquettes soient faites en relation avec l’enseignement et la recherche locale. Et interviendraient partout en expliquant qu’on peut faire de très bonnes maquettes sans rien connaître à rien si on maîtrise les ficelles des “sciences de la maquette”.

    Il me semble pourtant que les grands bibliothécaires n’étaient pas de simples techniciens.
    *Antonio Panizzi n’a cessé de publier
    *Julien Cain ne se contentait pas de gérer un budget
    *Marcel Bouteron était le meilleur spécialiste de Balzac, membre de l’Institut
    *Ernest Coyecque le meilleur connaisseur des archives notariales
    *Louis Desgraves à Bordeaux et Henri-Jean Martin à Lyon sont deux grands savants… qui ont créé le réseau de lecture publique de leur ville.
    *Aujourd’hui encore, je ne crois pas qu’un Melot, qu’une A.-M. Bertrand, qu’une M. Poulain soient de pures gestionnaires de budget et d’équipe.

    [quand au doctorat, j’ai déjà saoûlé OT avec ça, je ne voudrais pas en rajouter ;-)]

  4. Rémi, je réponds en plus court et en désordre 😉

    – oui, j’assume et même je revendique.

    – il faut des spécialistes pour chapeauter les politiques d’acquisitions ? Ok, alors où sont les scientifiques durs (physiciens, chimistes, et…), les juristes, etc, dans les conservateurs ? Parce que quand même, ça représente un paquet de nos acquisitions, non ?

    – oui, le travail administratif et le travail scientifique peuvent se rendre relief mutuellement. Mais le travail scientifique n’est pas à mes yeux la priorité et n’est pas un préalable – sinon, laissons toute la partie “gestionnaire et managériale” à “n’importe qui” (des gens formés pour, ce que nous ne sommes pas, c’est facile à voir, regarde comment nous bricolons mal là-dessus) – ah oui, du coup, qu’est-ce qu’on va faire de tous ces conservateurs… La priorité, c’est de faire que les bibliothèques existent encore (un peu) et ça, pour l’heure, ça ne passe pas par la recherche scientifique mais déjà, par l’action – et l’action manque cruellement dans nos structures, à tous les niveaux – forcément, les conservateurs sont des scientifiques donc ils scientifient…

    d’où :

    – sérieusement, combien de bibliothécaires de la pointure de ceux que tu cites avec raison ? Sérieusement ? Combien de conservateurs publient, par exemple ?

  5. Je défendais exactement le même point de vue que Daniel devant la dernière promo de conservateurs territoriaux: management et gestion. Surtout que leur représentant relisait doctement les textes expliquant le rôle scientifique du conservateur par rapport aux collections.

    Les bibliothèques ne sont-elles pas malades de cette vénération des collections scientifiquement constituées au détriment de l’usager?

    @MxSz: Pour animer des formations, je pense pas qu’un doctorat soit nécessaire. Suivre une bonne formation de formateurs où comment former des adultes me parait bien plus indispensable. La matière à enseigner n’est pas le plus difficile à apprendre selon moi, être capable d’intéresser un groupe et de lui apprendre une matière c’est plus délicat… et c’est pas un doctorat qui te l’apprend.

  6. C’est curieux cette obsession des conservateurs à vouloir être des scientifiques. Cela me donne l’impression soit qu’il y a de la frustration dans l’air, soit qu’ils considèrent que leur métier n’en est pas un vrai, qu’ils ne se sentent pas légitimes.
    Je n’ai pas ce genre de problèmes existentiels : je suis bibliothécaire, et assume la (faible) technicité de mon métier 🙂

  7. @Xavier G.: vieux débat. Pour former, faut-il connaître à fonds le sujet, ou bien faut-il être bon pédagogue ? Comme la Chine du bon président Mao, la formation doit évidemment marcher sur ses deux jambes. Retire l’une, et boum: ça tombe.

    Pour l’édification des lecteurs, je me permets de vous livrer une petite histoire (vraie):

    “Il était une fois un enseignant d’éco qui souhaitait, dans le cadre d’un enseignement de méthodologie destiné à des L1, que ses étudiants aient une séance ou deux en BU. L’enseignant en question a contacté le bibliothécaire coordonnant la formation. Ils sont partis sur le schéma suivant :
    – à partir d’un thème volontairement large (la pauvreté dans les pays riches), les étudiants, par groupe de deux ou trois, devaient 1/réfléchir à un sujet, le formaliser, le problématiser, puis 2/ le traiter sous la forme d’un dossier d’une dizaine de pages.
    – deux séances en BU: la première portant la présentation de deux ressources électroniques : le site de l’INSEE et CAIRN ; la seconde étant consacrée à la recherche de la documentation pour traiter ledit sujet.

    Bien évidemment, la seconde séance n’a pas porté un seul instant sur la recherche de documentation. Le bibliothécaire a uniquement travaillé sur la problématique, sur la construction du plan, sur la mobilisation d’idées. Bref, il n’a fait que mobiliser le savoir qu’il a acquis notamment comme ancien ATER (et, espère-t-il, bientôt docteur). Tout ce qu’il avait acquis à l’ENSSIB ne lui servait bien entendu à rien.”

    Je ne suis pas un ayatollah de l’activité scientifique. Je dis juste qu’il serait dommage de s’en priver, dès lors que les compétences sont là ou même que les agents souhaitent en faire.
    Après, Xavier, je t’invite à faire lire ton appréciation du doctorat par n’importe quel enseignant du supérieur, ou encore à le transférer sur une liste de diffusion du type SLR, ANCMSP ou AFS. Je serais curieux d’avoir les réaction. Surtout dans le contexte actuel (je ne trouve pas le smiley pour “sourire carnassier”).

  8. – revendique mais ça me semble une mauvaise idée. La fonction managériale (à laquelle tu tiens) implique d’éviter de tirer les gens vers le bas.

    – parfaitement d’accord. Nous avons besoin de scientifiques, de juristes et tutti quanti. Des vrais. Avec un doctorat ;-). Qui parlent d’égal à égal avec les chercheurs qu’ils servent. Je ne vais pas raconter toute ma vie mais une amie *très* proche a fait ses études de biologie dans une école située dans le quartier de Gerland, à Lyon, et doctore maintenant dans un labo INSERM lié à une université située sur un grand campus du nord de la ville. Pour elle, les bibliothécaires sont des gens qui achètent des abonnements électroniques et ne savent pas s’en servir [je redresse son opinion à coups de fouet, je te rassure]. Des espèces de secrétaires. Du menu fretin. En tout cas pas des scientifiques, la chose est sûre.

    – je serais plus circonspect quant à la formation des gens en école de commerce ; la plupart sont très critiques. En revanche, avoir de véritables administratifs qui s’occupent du versant administratif des choses, pourquoi pas en effet. Regrouper ces tâches pour faire des économies d’échelle plutôt que laisser chaque chef de section s’en occuper, oui. Si c’est impossible, déléguer le plus possible à l’intérieur de chaque section et laisser une grande liberté d’action aux agents (pour peu qu’on puisse leur faire confiance). Si on ne peut pas leur faire confiance, gérer le tout à partir d’outils qui fassent gagner du temps sur ces tâches débiles (perso, j’utilise un wiki où tout le monde indique l’avancement des chantiers qui lui sont confiés)

    – c’est peut-être mal de le dire et ça vient peut-être du fait que j’ai précisément une approche de “chercheur” ou de “lecteur” mais je n’ai absolument rien à faire que les bibliothèques universitaires existent encore dans quelques années. Elles sont un moyen, pas une fin en soi. Si on peut travailler aussi et plus efficacement sans BU, qu’elles disparaissent [mais j’ose croire qu’elles restent utiles et le demeureront encore un peu].

    – action. Ben faudrait savoir : si les conservateurs ne sont ni des scientifiques, ni des gens qui font le boulot tout-venant, on se demande ce qu’ils font… Evidemment que nous sommes et restons bibliothécaires et que, si le travail scientifique est important, nous ne sommes pas payés pour faire de la recherche à longueur de journée. Mais c’est vraiment la base, il faut aller plus loin quand même.

    – pointure (perso je fais à peine du 41…) : peu de gens de cette pointure puisque j’ai à dessein cité des grands noms pour montrer que ce sont tous des scientifiques (en plus de l'”action”). Mais s’il est exclu que nous tous arrivions à ce niveau et cette influence, j’espère bien que nous y travaillons tous. Sinon, ça ne sert à rien de bosser.

    – Pour finir, que dire de plus que 下定决心,不怕牺牲,排除万难,去争取胜利。? Cela résume tout, ma pensée comme la tienne 😉

  9. “Ben faudrait savoir : si les conservateurs ne sont ni des scientifiques, ni des gens qui font le boulot tout-venant, on se demande ce qu’ils font…” : ben ils débattent sur des blogs sur le fait d’être des scientifiques ou pas… 🙂

  10. Deux infos (datant de 2004):

    “État du marché : trois ans après la soutenance de la thèse, les taux de chômage des docteurs sont 1,9% aux USA et 7,4% en France. […]

    Niveau de salaire des post-docs au bout de trois ans (en 2001): aux USA 58% dépassaient 15 000 francs par mois tandis qu’en France 59% étaient en dessous de 10 000 francs par mois. […]” (http://x-dep.polytechnique.org/blondel04.html)

    C’est sûr, l’herbe est toujours plus verte ailleurs.

    Il me semble simplement que le discours consistant à dévaloriser le doctorat n’est pas hélas pas propre au monde des bib.

    Et que l’absence de docteurs à la tête de grands établissements (Jacqueline Sanson n’a pas de thèse, ce qui semble proprement incroyable pour un établissement comme la BnF) serait inconcevable dans un contexte universitaire autre que le français.

    Après, le problème des BU françaises, c’est qu’il y a de tout: la plupart sont du niveau des undergraduate (je dis ça sans honte, et même plutôt avec une certaine fierté). Faut-il être docteur pour diriger une petite BU (et nos établissements sont tous petits) ?

  11. Voir sur le diplôme, un bon résumé dans le dernier numéro de Sciences humaines, N°205, juin 2009, p. 22, Est-on efficace parce qu’on a des diplôme ou l’inverse, qui en 2 paragraphe résume bien 2 théorie en présence : le diplôme valeur ajoutée pour l’individu (Gary Becker) ou le diplôme signal (Michael Spence). (argh, dévoilée, je lis très régulièrement du papier et notamment plein de choses que je ne cherche pas – puisqu’effectivement -et heureusement pour la Science- je suis bibliothécaire et non chercheuse)
    Je crains que dans la discussion ci-dessus, c’est la question du diplôme signal qui se pose en premier…

  12. @tous : bon, on tourne en rond. Je résume ma position qui est assez simple (on continuera à s’engueuler demain sur le dernier billet ) :

    1. un diplôme est un diplôme et je ne crache pas sur les diplômes, j’en ai, je les ai gagné par mon travail et j’en connaît la valeur ;

    2. un doctorat ou 3 doctorats ou 30 doctorats ne nous amèneront pas de reconnaissance/légitimité professionnelle. Parce qu’une feignasse, même sur-diplômée, reste une feignasse. S’il peut éventuellement y avoir un effet de signal, ce signal ne tient pas sur la durée si le travail ne prend pas le relais. Dit autrement, je pense que notre reconnaissance se gagne à la sueur de nos fronts.

    3. Pareil pour notre “scientificité” – dont je continue à penser que collectivement (entendez, sur l’ensemble du corps des Conservateurs), elle est plus que douteuse : elle ne nous apporte sur la durée aucune reconnaissance/légitimité professionnelle.

    Voilà, c’est tout ce que je pense. Patron, la prochaine tournée est pour moi.

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